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Bonne

Nouv.elle

!

— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.

S3 Episode 15

27/02/2022 – 8e dimanche du temps ordinaire

Lecture de l’évangile : Leonor

Homélie : Blandine Lagrut

Et sur Anchor.fm, Spotify ou d’autres plateformes de podcasts.

Textes du jour

Si 27, 4-7
Ps 91
1 Co 15, 54-58
Lc 6, 39-45
(Lire les textes sur aelf.org)

Le texte de l’homélie

Pourquoi suis-je là, assise, à écouter ?
Pour le troisième dimanche consécutif nous voilà en plein champ, dans une plaine de la banlieue de Capharnaüm. Une foule nombreuse est rassemblée. Jésus enseigne. Sous le ciel clair de Galilée, on a entendu des paroles déroutantes : « Heureux, les affamés de ce jour, car vous serez rassasiés. Heureux, vous qui fondez en larmes maintenant, car vous rirez. »
Alors que discours est sur le point de s’achever, encore une fois, la Parole va nous surprendre. Avec tendresse, avec humour Jésus va raconter deux petites histoires, hautes en couleur. Et un vent de légèreté va souffler dans la plaine. « Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? »
On les imagine prenant appui l’un sur l’autre. Tandem parfois grotesque, parfois touchant. Et voilà que l’un des aveugles prétend servir de guide à l’autre : il prend les devants, décide du parcours, impose son rythme. Mais tôt ou tard, le meneur tombera dans un trou. Et entraînera l’autre dans sa chute.
Jésus dénonce le curieux rapport de domination qui parfois s’installe au cœur des relations censées nous soutenir dans la vie. Il ne propose ni guérison, ni prière, ni libération. Car l’aveuglement ici n’est pas un handicap de naissance mais le fruit d’une impatience : ces aveugles ont arrêté trop tôt d’écouter la voix qui pouvait les enseigner. Qui prétend conquérir les espaces et montrer la direction doit d’abord prendre le temps d’écouter. Prendre le temps de s’asseoir dans la plaine. Car si le Christ est la lumière, alors par fréquentation, progressivement, sa lumière pourra devenir la nôtre, sa clarté pourra nous rendre la vue. Alors nous serons capables d’être les unes pour les autres, les uns pour les autres, des alliées, des amies, des forteresses.
Les auditeurs ont à peine le temps de comprendre que Jésus parle d’eux que déjà entre en scène un autre tandem, un des duos les plus célèbres de l’histoire. Les deux sont borgnes… mais borgnes différemment. Car c’est une chose d’être gêné par une paille. C’en est une autre de transporter – sans le savoir – une poutre en lieu et place de son œil. Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère ?
Les pailles, les brindilles … tous ces petits travers qu’on repère chez les autres et qui ont le don de nous agacer. Car c’est ainsi : sur les animaux rationnels que nous sommes, le moindre petit défaut possède un incroyable pouvoir de fascination. On ne voit plus que ça.
Mais Jésus n’est pas dupe. Il sait que notre empressement à aider n’est souvent qu’un prétexte pour affirmer notre supériorité. Nos remarques sont alors comme des poutres assommantes, elles font souvent plus de dégâts que la brindille. Pour éviter les collisions, Jésus propose une autre attitude : à la première alerte, dès que le défaut, l’anomalie, la maladresse est repérée… Tenir une distance respectueuse, garder le silence. Et examiner son propre visage. Quelle poutre altère ma vision ? Quels biais déforment ma pensée ? Suis-je capable d’en prendre vraiment conscience ; c’est-à-dire suis-je capable d’en souffrir ? Car le problème n’est pas tant la poutre, que le fait qu’on se soit habitué à vivre avec elle.
A entendre ces deux petites histoires, on pourrait penser que Jésus nous fait simplement une leçon de morale, qu’il nous invite avec une pointe d’humour, à ajuster nos regards, à faire preuve d’un peu plus d’autocritique, de patience. Mais on pressent que le fond l’affaire n’est pas là, que Jésus veut nous emmener plus loin.
Dans les derniers versets, d’autres d’images sont convoquées. Elles vont se mêler, s’emmêler, se répondre : un arbre bon et ses fruits bénis, un arbre mauvais et ses fruits pourris, un homme mauvais qui fait le mal, un homme bon qui tire le bien du trésor de son cœur. Il ne s’agit pas de voir clair ou pas, d’être bigleux, borgne ou aveugle ; il s’agit de racines, de sève, du cœur, du trésor d’où l’on peut tirer – ou non –- la force de faire le bien.
Au moment où le texte s’achève, une question ne peut manquer de surgir dans l’esprit des auditeurs. Une question que Jésus ne pose pas, pour que nous nous la posions : Cette sève d’où la bonté va jaillir … Comment s’est-elle formée ? qui l’a déposée en moi ? Ce trésor du cœur qui me rendra capable de porter de beaux fruits, d’où vient-il ? Il est donné. Gratuitement. Ce trésor s’est sédimenté au fil de l’écoute, dimanche après dimanche, alors que nous étions tous assis dans l’herbe. La parole du Maître a agi comme une sèvre vivante, elle a circulé en nous, entre nous. Secrètement. Gracieusement. Car on pourra bien faire tous les efforts pour mettre fin à notre arrogance, pour extraire les poutres… Il y aura toujours le scandale d’une bonté dont nous ne sommes pas l’origine mais qui nous traverse, une bonté qui fructifie presque sans nous ou malgré nous. Le scandale d’une bonté qui ne naît pas de l’effort mais de l’écoute.
Heureux les attentifs, les amoureux de la Parole, le Christ lui-même vit en eux et donnera son fruit, le meilleur.

Blandine Lagrut

Blandine habite Paris 18è, elle enseigne la philosophie tout en vivant en Communauté (Chemin Neuf).