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Bonne

Nouv.elle

!

— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.

S3 Episode 22

10/04/2022 – Dimanche des Rameaux

Lecture de l’évangile : Eloïse

Homélie : Pierre Louis

Et sur Anchor.fm, Spotify ou d’autres plateformes de podcasts.

Textes du jour

Is 50, 4-7 Ps 21 Ph 2 6-11 Lc 22, 14 – 23, 56 (Lire les textes sur aelf.org)

Le texte de l’homélie

Cette passion selon Luc est l’un des plus beaux poèmes dramatiques jamais écrits. On sait que Luc a composé avec art les scènes de la vie du Christ. Il en a révélé le sens caché en les situant dans une plus grande histoire, l’ histoire du salut de l’humanité inséparable du destin d’un homme appelé Jésus. Poème dramatique ai-je dit. Poème par la parole écrite, drame par la parole adressée, les dialogues, les personnages antagonistes, l’engrenage du destin. Cette approche pourrait paraître réductrice par rapport au Mystère ici dévoilé qui suppose un acte de foi. A bien y regarder pourtant, cette approche ne peut que renforcer la perception du sens que délivrait Luc et, au bénéfice d’une plus grande efficacité, son but évangélisateur. Que Jésus soit le plus grand poète de tous les temps, et Luc un de ses meilleurs traducteurs, on le sait depuis les paraboles. Mais il y a plus . C’est par la parole de son Fils que Dieu s’est révélé, une parole créatrice, une parole en acte reproduisant chaque jour le jour natal de la vie. Or, comme les paroles d’un poète sont déjà ses actions, le poème christique pourrait être considéré comme le poème des poèmes et pour le croyant la prière des prières. Dites avec foi, la poésie et la prière seront toujours identiques nous assure l’ écrivain Philippe Sollers. En suivant scène par scène le déroulement de notre récit, nous parvenons même au comble de l’action dramatique. Le récit évangélique est dans son ensemble une mise en scène très élaborée. Un texte ancien, millénaire, un texte verbal, était en attente de représentation et voici qu’a partir d’un certain Noel dans un village de Judee il va être représenté. Dramaturgie exemplaire. La Passion, en est l’accomplissement ultime, avec le coup de théâtre final qu’est la Résurrection, qui nous donne les clés pour comprendre tout ce qui s’est passé jusque là, tout le sens de l’obéissance du Christ, entré librement dans sa passion, « obéissant jusqu’à la mort et à la mort de la croix, ce pourquoi Dieu l’a exalté » dira Paul, qui lancera par ailleurs l’apostrophe finale: Mort où est ta victoire ? Dans ce grand poème dramatique, il y a une autre révélation : le Christ supplicié qui a accompli les Écritures n’est pas donné à voir comme un héros à la manière des héros de légende. Car Il ne dépasse pas l’humanité , il l’assume, il est comme le suppliant de la tragédie antique dont parle Péguy, il représente. Mais il fait plus encore, il sauve ! Des lors Sa Passion et sa Résurrection modèleront la grande dramaturgie de l’ histoire humaine en donnant la raison du monde, mais aussi, du même coup, elles modèleront notre dramaturgie personnelle, notre vie de tous les jours couronnée d’épines comme avant, comme toujours, mais depuis que le salut est advenu, couronnée d’espérance . Imaginons La Passion selon Luc étudiée dans les écoles de théâtre , aux Beaux-arts, dans les lycées, partout où l’on étudie l’art et la littérature . Lisons là, jouons là dans les églises bien sûr mais aussi hors des églises comme l’oratorio de notre temps, accompagné éventuellement par la musique de Bach, notre cinquième évangéliste, qui, composant ses cantates et ses Passions, marchait comme Luc, sur le chemin raboteux du salut avec la tête dans les étoiles. On y redécouvrirait des trésors de langage poétique, comme, par exemple, dans la bouche du narrateur qui parle de Jésus au mont des Oliviers: Il s’écarte à une distance d’un jet de pierre environ Ou encore: Sa sueur devint des gouttes de sang qui tombaient sur la terre Et, écoutant Jésus lui-même s’adressant à ceux qui viennent l’arrêter: C’est maintenant votre heure et le pouvoir des ténèbres Cette parole, nous pouvons la retrouver encore chez un auteur comme François Mauriac qui a démontré cette capacité à pénétrer la culture profane qui est la tâche de tout chrétien afin de signifier ici et maintenant la proximité de Dieu. Écoutons Mauriac: « Voici l’épisode sublime, que Luc, seul, rapporte: L’un des malfaiteurs pendus à La Croix l’injuriait disant: N’es tu pas le Christ ? Sauve toi toi-même et sauve-nous. Et l’autre le reprit en disant: Ne crains tu pas Dieu, toi qui est condamné au même supplice? Pour nous, c’est justice, mais lui, il n’a rien fait de mal. Alors à peine a-t- il parlé qu’une grâce immense lui est donnée: celle de croire que ce supplicié est le Christ, le Fils de Dieu, l’Auteur de la vie, le Roi du Ciel. Et il dit à Jésus: Seigneur souvenez vous de moi dans votre Royaume… Aujourd’hui même tu seras avec moi dans le ciel. » Et Mauriac de conclure: « Un seul mouvement de pur amour et toute une vie criminelle est anéantie. Bon larron, saint ouvrier de la dernière heure, rendez-nous fous d’espérance. » A notre tour maintenant de mettre en jeu, pour réactiver le récit de Luc, le langage des disciples, « que, selon le prophète Isaïe, le Seigneur nous a donné, pour pouvoir, d’une parole, soutenir celui qui est épuisé ».

Pierre Louis

Pierre Louis est directeur du Théâtre de la Clairière à Besançon. Il écrit, adapte et met en scène pour le théâtre. Pour l’été 2022 il prépare un spectacle sur La Fontaine et Brassens La Bande à Eole !