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Bonne

Nouv.elle

!

— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.

S4 Episode 12

05/02/2023 – 5e dimanche du temps ordinaire

Lecture de l’évangile : Estelle

Homélie : Adeline Fermanian

Et sur Anchor.fm, Spotify ou d’autres plateformes de podcasts.

Textes du jour

Is 58, 7-10
Ps 111
1 Co 2, 1-5
Mt 5, 13-16
(Lire les textes sur aelf.org)

Le texte de l’homélie

Au premier abord, cet évangile me laisse perplexe et même un peu méfiante. Tout d’abord, je ne comprends pas cette image du sel. Dans toutes les situations qui me viennent à l’esprit, que ce soit pour donner du goût à un plat ou désherber la terre, il faut un peu de sel mais pas trop. Cela voudrait-il dire qu’il ne faut pas trop de disciples du Christ ? Ensuite, cette expression que j’ai tant entendue dans le monde catholique : « Vous êtes la lumière du monde. » Que cela veut-il bien dire ? Spontanément, j’imagine des personnes en file indienne qui marchent dans la nuit. Seule la première tient une lanterne. Elle éclaire les autres mais elle décide aussi où l’on va : c’est elle qui choisit le chemin. Si elle se trompe de chemin, elle entraîne tout le monde avec elle.
Cette personne qui tient la lumière serait-elle le disciple du Christ et les autres le reste du
monde ? Cette image ne me convient pas. De quel droit est-ce que, en tant que disciple, je
devrais décider pour les autres du chemin vers lequel ils et elles doivent aller ? Cela me semble arrogant et dangereux. Mais ce n’est probablement pas cela que Jésus nous propose.
C’est la 1ère lecture, le texte d’Isaïe, qui me semble apporter des éclairages. Je vous relis un passage :
‘Ainsi parle le Seigneur :
Partage ton pain avec celui qui a faim,
accueille chez toi les pauvres sans abri,
couvre celui que tu verras sans vêtement,
ne te dérobe pas à ton semblable.
Alors ta lumière jaillira comme l’aurore,
et tes forces reviendront vite.’
Isaïe est beaucoup plus clair sur ce que veut dire «être une lumière» : il s’agit de prendre soin des autres. Ce qui me frappe surtout c’est que la focale n’est pas sur le fait de guider, d’éclairer les autres, mais d’entretenir sa lumière intérieure. Il nous dit : ‘tes forces reviendront vite’. Chez Isaïe et dans l’évangile, la lumière est personnelle : dans les deux textes il est question de « ta lumière », « votre lumière ». Revenons à Isaïe :
‘Si tu fais disparaître de chez toi
le joug, le geste accusateur, la parole malfaisante,
si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires,
et si tu combles les désirs du malheureux,
ta lumière se lèvera dans les ténèbres
et ton obscurité sera lumière de midi.’
Ne trouvez-vous pas ce texte très beau et moderne ? Il nous donne le guide de comment être une lumière : fais pour les autres « ce que toi, tu désires ». Il ne s’agit pas de vivre selon des grands principes, de donner au monde des règles de conduites et de le guider, mais d’être attentif aux autres et à l’écoute de ses propres désirs.
Si on revient à l’Évangile, Jésus utilise les images du lampadaire et de la ville, qui sont tous deux des objets statiques. La lumière que nous devons être ne bouge pas ! Ma première image était assez fausse : Jésus ne nous invite pas à guider les autres mais à entretenir notre lumière intérieure. Il nous invite à ne pas nous cacher : être fidèles à ce que nous sommes, vrais, là où nous nous trouvons.
Je vais oser partager avec vous une petite tempête personnelle que j’ai traversée. Avec mes
ami·es du groupe paroissial Féminisme en Église, nous avons été brutalement exclu·es de notre paroisse en avril dernier et accusé·es d’être source de division dans l’Église. Je ne souhaite pas parler ici des aspects médiatiques ou politiques de cette histoire, mais de ce qu’elle a entraîné dans ma vie spirituelle.
Cette claque que l’institution Église m’a mise a été le coup de grâce à la confiance que je pouvais avoir en elle, confiance qui était déjà bien fragile. Là où j’ai été prise de court, c’est que cette perte de confiance en l’institution s’est accompagnée d’une crise spirituelle. Je chutais de mon piédestal de « bonne catho pratiquante » pour me rendre compte que ma foi était fragile, que je m’étais faite piéger par le confort des dogmes, des réponses toutes faites que l’Église nous propose puisque quand la confiance en l’institution s’émiettait, ma foi suivait. J’ai cette image d’une forteresse qui s’écroule, d’un champ en ruine, brûlé.
Aujourd’hui le temps a passé, et je commence à reconstruire. Mais je ne reconstruis pas pareil : je fuis les réponses toutes faites sur l’existence, la posture de celles et ceux qui semblent avoir tout compris à la vie. Ce n’est pas une démarche facile : sur qui ou quoi s’appuyer ? Comment accepter l’inconnu, l’incertain de l’existence ?
Les textes du jour me donnent des pistes de réponse : « donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires ». Jésus m’invite à ne pas avoir peur, à laisser ma lumière rayonner, là où je suis. Une lumière n’est pas statique, elle vacille, parfois elle s’atténue et parfois elle brille plus vivement. Elle a besoin des autres, de Dieu, pour être entretenue : Isaïe me réconforte, « tes forces reviendront vite ». Enfin, Paul dans la 2ème lecture rappelle qu’il ne vient pas avec « un langage de sagesse qui veut convaincre », avec des théories et des réponses toutes faites, mais « dans la faiblesse, craintif et tout tremblant ». Paradoxalement, cette faiblesse que je ressens aujourd’hui peut être une force, me dit Paul, si elle s’appuie sur la puissance de Dieu qui est force de vie.
Pour conclure, j’ai envie de partager avec vous un extrait de L’intranquillité de Marion Muller-Collard qui invite à accepter l’incertain :
« Le poète l’écrit : nous naissons comme le rocher, avec nos blessures. Y a-t-il d’autres chemins que celui qui conduit, alors, à l’âge cassant ?
L’âge où, après avoir tenté de canaliser le tumulte de la vie brute, à grand renfort de systèmes et d’organisation — de digues, en somme —, la part sauvage et anarchique de la vie reprend ses droits, et pousse d’autant plus fort qu’on aura cru la contenir avec autorité. Opposant à l’angoisse existentielle nos certitudes fanatiques, aux mouvements aléatoires nos fixations avides de contrôle, opposant aux balbutiements nos discours, aux danses des protocoles, à nos fièvres des remèdes, à nos pérégrinations la voix robotique des GPS, à notre vulnérabilité l’armée pathétique de toutes nos forces rassemblées. On casse à la mesure même de notre rigidité, nous apprend la fable du chêne et du roseau. La souplesse est notre seule chance, l’inclusion du tumulte, l’acceptation des limites de notre contrôle, la jachère de l’intranquillité qui offre à nos existences une parcelle désordonnée et féconde. Notre seule chance qu’il y pousse quelque chose que nous n’aurions pas imaginé. »
Soyons des lumières, des flammes souples, fragiles, dérangées par le vent que souffle l’autre. Si nous croyons que Dieu, Esprit de force, alimente notre flamme, nous ne pouvons pas avoir peur du vent de l’inconnu. Nous pouvons nous tenir au grand jour, être dérangés, bousculés, attaqués, moqués, nous savons que notre flamme ne s’éteindra pas tant qu’elle s’accorde à nos désirs vrais et profonds, au service de ceux et celles qui nous entourent.

Adeline Fermanian

Adeline Fermanian a 28 ans et elle est chercheuse en mathématiques de l’intelligence artificielle. Elle est catholique et féministe et a co-fondé en 2020 le groupe Féminisme en Église ; elle est également vice-présidente du Comité de la Jupe depuis un an. Sa foi et ses combats militants se nourrissent l’un l’autre : l’amour radical de l’Évangile la pousse à combattre toutes les formes de discriminations et de violences.