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Bonne

Nouv.elle

!

— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.

S4 Episode 15

22/02/2023 – Mercredi des Cendres

Lecture de l’évangile : Claire

Homélie : Marina Buyse

Et sur Anchor.fm, Spotify ou d’autres plateformes de podcasts.

Textes du jour

Jl 2, 12-18
Ps 50
2 Co 5, 20 – 6, 2
Mt 6,1-6.16-18
(Lire les textes sur aelf.org)

Le texte de l’homélie

Ouille ouille ouille, à la lecture de ce texte, je suis sur le point de me braquer.
Matthieu ne nous ferait-il pas une petite injonction à être toutes et tous des parfaits petits enfants modèles – sages comme des images ? – et surtout comme on le dit dans le nord – des taiseux – du verbe se taire ? Cet appel à tout faire dans le secret, dans le noir, à chercher la discrétion à tout prix, de prime abord ça ne me plait pas. Ça me rappelle des refrains trop connus de mon enfance et de bien plus tard : c’est le « tiens-toi droite » de l’esprit, ces préceptes qu’on essaie d’inculquer aux enfants et qui, arrivée à l’âge adulte, m’ont fait foncer dans trop de murs. Être calme, ne pas se vanter, comprendre l’autre et mettre mes sentiments sous le tapis. Bref, exister en sourdine. Pourtant quel mal y a-t-il à faire le bien et dire qu’on l’a fait ? En quoi est-ce, comme le dit Jésus, « hypocrite » ?
Si je ne prends pas l’avion mais le train pour aller passer quelques jours en Italie. Bon, je ne le dis à personne et personne ne sait qu’il y a une ligne directe, pas chère et que les paysages traversés sont magnifiques. Alors bien sûr je n’aurai pas crané sur cette belle idée, bobo et écologique, je ne me serai pas mise en avant mais aussi j’aurai gardé un plan pour moi qui pouvait en intéresser d’autres. (Donc foncez, les billets ne sont pas chers et impact carbone limité, ça vaut la peine !)
Si je réagis aussi fort à cette proposition de faire silence, c’est justement parce qu’en ce moment, je m’efforce de faire l’inverse. De parler de moi, de m’ouvrir et de partager mes envies et mes actions, bref je tente de déconstruire mon silence poli et bien élevé. J’essaye de discerner au sein de ma propre modestie : laquelle est fausse modestie, élégante, juste, mauvaise, innée, acquise. Toutes les modesties ne sont pas bonnes à prendre et en ce moment je me débarrasse de quelques-une d’entre elles.
Et j’ai trouvé un outil qui m’aide à me débarrasser de ces modesties qui m’encombrent : Instagram. Oui oui.
Ce réseau social me permet de partager des images, des musiques, des messages, des moments avec les gens que j’aime et quelques autres personnes. Enoncer ce que je fais, ce qui me touche, partager les images ou les chansons que je trouve belles. Dire un peu qui je suis. Donner et prendre des nouvelles.
Bref c’est une plateforme très efficace pour partager la beauté, le drôle, les sourires, et le tout rapidement et régulièrement. Très rapidement. Très régulièrement. Peut-être un peu trop, c’est vrai. Rapidement est devenu instantanément, régulièrement est devenu sans fin.
Et parfois, je sens que je dérape et que pour partager avec d’autres ce qui me touche, je ne prends plus toujours le temps de profiter pour moi des paysages, des animaux que j’immortalise immédiatement dans mes stories. Pour développer mes liens affectifs avec mon entourage, je simplifie mes échanges, je les normalise par le biais de petites réactions que propose par défaut l’application : des petits dessins un peu niais qui signifient “joie”, “colère”, “beauté” – on reste en surface. Pour rester fidèle à ce que j’appelle désormais ma ligne éditoriale et non plus simplement “des nouvelles de Marina”, je sélectionne mes sujets, je ne photographie pas les poubelles que je sors, mais le petit oiseau sur le mur d’en face.
Et certains jours cela va plus loin, je tombe dans une douce obsession de trouver quelque chose à faire ou à dire pour le montrer. Je deviens une bricoleuse des réseaux sociaux : je coupe, je filtre, je rogne, je sélectionne, je tri. J’organise des images qui n’ont plus grand-chose à voir avec mon intériorité – ce qui m’avait poussée au départ à rejoindre ce réseau social.
Je me suis un peu égarée en chemin. Et quand on s’égare, le mieux, c’est encore de s’arrêter et de faire un point route. Alors c’est comme ça que je l’entends cet appel de Jésus et cette entrée en carême. S’arrêter, vérifier sa boussole et repartir à la bonne allure ou dans la bonne direction.
Plutôt que de déverser un flux d’informations et de pensées vers l’extérieur, pour un temps, je peux inverser la tendance et me les dédier à moi. Cultiver des joies secrètes, qui ne se publient pas / Revenir dans une subtilité, qui ne se like pas / M’autoriser des pensées qu’on ne peut pas résumer en un émoticône.
Et ça me fait sourire d’imaginer ça. Imaginer que je vais garder des choses secrètes, pas pour les cacher, mais pour mes les offrir encore plus. Je vais garder mon petit geste de carême secret, comme un dialogue entre moi et moi qui rayonnerait à l’intérieur.
Certes ce ne sera pas publié, mais est ce que je suis bien sure que personne ne s’en rendra compte ?

Marina Buyse

Marina est comédienne, metteuse en scène et autrice de théâtre. Elle intervient en milieu scolaire avec des spectacles visant à démocratiser les grandes œuvres classiques de la littérature et à sensibiliser sur les questions de la différence. Marina travaille actuellement sur la figure de Camille Claudel pour le théâtre. Elle aime choisir les mots qu’elle dit et ceux qu’elle écoute, convaincue qu’ils ont un impact immense sur ses actions et celles de ceux qui l’entourent.