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Bonne

Nouv.elle

!

— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.

S4 Episode 16

26/02/2023 – 1er dimanche de Carême

Lecture de l’évangile : Claire

Homélie : Amélie Franco

Et sur Anchor.fm, Spotify ou d’autres plateformes de podcasts.

Textes du jour

Gn 2, 7-9, 3, 1-7a
Ps 50
Rm 5, 12-19
Mt 4,1-11
(Lire les textes sur aelf.org)

Le texte de l’homélie

Il est pas un peu flippant ce texte dans lequel Jésus est tranquillement en train de faire une diète dans le désert et là, le Diable glisse, l’air de rien, une tentation par ci, une tentation par-là ? À l’écoute de ce texte on dirait que le chrétien ne peut pas se permettre de se la couler douce ; s’il ne lutte pas, le diable pourrait le dominer. On dit qu’il est « tapi » à notre porte », nous poussant ainsi à être en état d’alerte face à ce tentateur qui revient, sans relâche vers sa proie, tel un relou en boîte de nuit. Et je prends cet exemple parce que tout ceci n’est pas sans me rappeler un autre ennemi que les milieux féministes m’ont permis d’identifier. Et il semblerait que cet ennemi fonctionne de la même manière que le diable dans notre texte. C’est pourquoi je l’ai librement appelé : le patriarcat.
Dans ce cas, ce texte viendrait peut-être nous parler de ce système de valeur pourri qui est comme le diable « tapi à notre porte ».
Reprenons alors point par point les étapes de ce texte avec cette nouvelle lecture.
Tout d’abord dans ce récit l’enjeu est de taille pour Jésus, il va devoir répondre à la question de son identité de : vrai Homme et vrai Dieu. « Si tu es le Fils de Dieu… » demande le diable… on pourrait entendre ici « Si t’es un Homme… change les pierres en pains ».
Autrement dit, ce qui définit un Vrai Homme Vrai Dieu c’est sa capacité à sortir d’un état de faiblesse (ici 40 jours de jeûne pour Jésus) et à assouvir tous ses besoins par le pouvoir (changer les pierres en pains). Ce qui correspond plus ou moins aux attentes de la masculinité.
Et la réponse de Jésus à la masculinité ça va être de lui faire comprendre qu’on peut être le Fils de Dieu et se satisfaire d’une spiritualité sans testostérone.
Pour autant, l’ennemi n’a pas dit son dernier mot. Et pour ce verset 5 j’avoue avoir pris une certaine liberté dans la traduction : « Le patriarcat emmena Jésus jusqu’à Jérusalem, la ville sainte, le plaça au sommet du temple et lui dit : « Si tu es un Homme, jette-toi en bas. »
Eh oui, l’homme, le vrai, devrait être invincible et sans peur, sinon c’est qu’il représente une menace bien plus redoutable que la souffrance physique ou la mort, à savoir : être assimilé à une femme !
Jésus du coup cite les Écritures, il temporise, il cite des textes qui font autorité pour lui et qui le soutiennent face à la tentation. On pourrait imaginer ici une réponse de type : L’épître de Simone de Beauvoir à ses contemporains dit ceci : « Personne n’est plus arrogant envers les femmes, plus agressif et méprisant, qu’un homme inquiet pour sa virilité. » Amen.
On aimerait bien que ça se finisse ici mais comme le diable, de la même manière que le patriarcat d’ailleurs, a un petit problème avec le consentement, tandis que Jésus l’a repoussé déjà deux fois, le texte nous dit que l’ennemi « l’emmène encore sur une très haute montagne, et lui montre tous les royaumes du monde et leur splendeur, et lui dit : « Je te donnerai tout cela, si tu te prosternes devant moi pour m’adorer. »
Oui le patriarcat promet aux femmes monts et merveilles, maquille-toi et tu te trouveras belle, épile-toi et tu seras vue comme douce, sois sensible et tu trouveras quelqu’un pour te protéger… en d’autre termes, tu pourras être une princesse si tu te soumets. Je crois sincèrement que cette tentation nous y cédons souvent, malgré nous, et que le diable du patriarcat nous le fait payer au plus grand prix : la domination.
Pas plus tard qu’hier, je vis ma vie de féministe, telle Jésus dans son désert, alternant entre un cercle de femme, une réparation sur mon vélo, un podcast des couilles sur la table… lorsqu’un bon matin je me vois croiser les jambes dans le métro tandis que mon voisin s’est pris pour un cowboy. Un peu plus tard, à cette table ronde, au moment où la seule femme conférencière prend la parole, je me vois chercher la faille dans son discours comme je ne l’ai pas fait avant avec les hommes. Ca y est, c’est intégré, ils ont le droit d’être là, nuls, et elle, elle doit être excellente, un peu comme si déjà elle est là, elle a intérêt à assurer. Et enfin, autour d’un café, lorsqu’une femme me demande de deviner son métier, je m’entends lui répondre des trucs du genre : infirmière, assistante de direction, etc. Le voilà, il est là, il apparaît, il prend même possession de moi : ce maudit « patriarcat ».
Mais est-ce que ça pourrait être déjà une forme de solution que de le reconnaitre ?
D’ailleurs, au verset 10, Jésus dit : « Va-t’en, Satan ! »
En nommant le mal, en pointant le patriarcat du doigt quand il arrive, on dirait que c’est une manière de refuser de lui rendre un culte et de participer à ce système de domination des hommes sur les femmes, des riches sur les pauvres, des pères sur les fils et les filles, des « vrais » hommes sur ceux considérés comme insuffisamment masculins, j’en passe… De fait le texte en témoigne de la réussite de cette arme : « À ce moment-là, le diable le laissa. »
Pour conclure, Jésus n’est pas venu pour montrer qui a la plus grande, il est plutôt venu pour témoigner d’un monde où la vulnérabilité l’emporte sur le pouvoir, où le don prévaut sur la compétition, où l’égalité est préférée à la domination. Autrement dit, être vrai Homme vrai Dieu, c’est peut-être casser les couilles au patriarcat !

Amélie Franco

J’ai fait mes études de théologie protestante à Strasbourg qui est le premier endroit où j’ai entendu parler de lecture féministe des écritures, ce que je jugeais sévèrement à l’époque. Si on m’avait dit que j’en écrirais un jour…
Je travaille aujourd’hui pour GreenFaith qui réconcilie mon envie de bosser pour la justice climatique et l’envie d’être dans un contexte inter religieux et international. Mon rêve serait de monter une association pour aider les personnes victimes des mouvements chrétiens extrêmes… inch’Allah