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Bonne

Nouv.elle

!

— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.

S4 Episode 19

19/03/2023 – 4e dimanche de Carême

Lecture de l’évangile : Clémentine

Homélie : Del Kilhoffer

Et sur Anchor.fm, Spotify ou d’autres plateformes de podcasts.

Textes du jour

1 S 16, 1b.6-7.10-13a
Ps 22
Ep 5, 8-14
Jn 9, 1-41
(Lire les textes sur aelf.org)

Le texte de l’homélie

Cet Evangile me frappe par ce qu’il nous raconte d’une expérience profondément humaine : notre difficulté à nous voir tels que nous sommes et cela à deux niveaux. D’une part à travers le regard que nous portons sur nous-même en tant qu’individu – nous nous jugeons souvent durement, à l’aune de standards irréalistes et sclérosants. Nous nous trouvons trop petit, trop gros, pas assez intelligent, pas assez riche, pas assez sportif, etc. D’autre part à travers le regard que les autres portent sur nous, ils et elles qui, une fois qu’ils nous ont étiquetés, peinent souvent à nous percevoir dans notre pleine réalité, notre complexité, notre vérité.
En tant que femme lesbienne, je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec ma propre identité et, de façon plus générale, avec les questionnements sur l’orientation sexuelle et sur la façon dont la question du genre est abordée dans nos sociétés.
Et si la cécité de l’aveugle était son incapacité à appréhender son orientation sexuelle, peut-être même un genre différent de celui qui lui a été assigné à la naissance ? Car le texte insiste, c’est ainsi qu’il est né.
En lui lavant les yeux, Jésus lui permet de voir qui il est vraiment. Et ce qu’il est vraiment, c’est peut-être un pd, peut-être une personne intersexe, peut-être une personne transgenre. L’ancien aveugle se découvre lui-même, il renaît en quelque sorte. De ce fait, sa position change. Et donc la perception que les autres ont de lui change. Leur première réaction est l’incrédulité, le déni de la personne qui se tient à présent devant eux. Ils ne reconnaissent plus celui qu’ils pensaient connaître, l’aveugle, le mendiant du voisinage, celui auprès de qui on pouvait se donner bonne conscience en lui glissant quelques pièces de monnaie.
Ils font à présent face à une personne dans sa plénitude, dans sa vérité. Et c’est une vision qui est de l’ordre de l’insoutenable. Car cela leur fait sentir leur propre aveuglement à eux-mêmes. Elle les jette dans le trouble, cette vision, elles et eux qui ont accepté toutes les normes de la société.
Une manière d’éviter le questionnement qui trouble, c’est de chercher le fautif, le pêcheur. Alors autour de lui, les gens s’interrogent pour savoir qui est le pêcheur : cet homme aveugle ou ses parents ? Jésus répond sans ambiguïté « Ni lui, ni ses parents n’ont péché. Mais c’était pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui. »
Décidément, cela résonne à mes oreilles comme un coming out. Je suis gay. Je suis lesbienne. Je suis bie. Je suis transgenre. A chaque fois que l’un ou l’une de mes adelphes est amené·e à prononcer une de ces phrases, le ou la voilà confronté·e à ce changement de regard des autres. Il y a des personnes qui acceptent qui iels sont avec la simplicité du cœur, heureusement. Mais il y a aussi de nombreuses personnes qui réagissent tout autrement.
L’incrédulité et le déni évoqués tout à l’heure peuvent être au rendez-vous : « tu te trompes » ; « C’est juste une phase » ; « Tu dis n’importe quoi » ; « C’est parce que tu n’as pas trouvé le bon garçon ou la bonne fille » ; « Arrête tes bêtises »…
Chaque parole vient blesser un peu plus celle ou celui qui les reçoit. Cette personne qui s’est rendue vulnérable dans un des plus beaux actes d’amour qui soit : se montrer tel·le que l’on est.
Ce déni, on le retrouve dans la mise à distance opérée par les parents de l’aveugle qui ne veulent pas porter la responsabilité de la vraie nature de leur fils et préfèrent le laisser se dépêtrer tout seul avec ses problèmes : « Interrogez-le, il est assez grand pour s’expliquer », disent-ils. Le sous texte étant, ce n’est pas de notre faute si notre fils est différent. Cela n’a rien à voir avec nous.
Parfois le déni est tellement fort qu’il pousse à la violence. La violence des coups, des thérapies de conversion qui étaient légales en France il y a encore peu. Ou d’autres formes de maltraitance, dans un vain effort de bloquer la réalité. Je repense à ce jeune homme d’une vingtaine d’années, fils de pasteur, intelligent, travailleur, d’une grande gentillesse et gay. Il avait trouvé son premier poste comme journaliste, l’avenir lui souriait, mais il était profondément malheureux car ses parents n’acceptaient pas son homosexualité. Il vivait encore au domicile familial et ses parents, exaspérés de ne pas pouvoir changer la vie affective de leur fils, le gardaient enfermé dans sa chambre dès qu’il rentrait du travail. La situation devenait invivable : il se trouva un studio à louer et, comme ses parents refusaient de le laisser partir, pensant qu’il allait mener une vie de débauche et de péchés, il nous demanda à nous, deux de ses amies, de l’aider à déménager à leur insu. Donc, un dimanche matin alors que tout le reste de la famille se rendait au temple, dès leur départ, le cœur battant et la peur au ventre, il a emballé à la va-vite ses quelques affaires personnelles et nous, ses deux amies lesbiennes, nous sommes venues le chercher en voiture, lui et ses quelques cartons.
« Cet homme-là n’est pas de Dieu, puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat. », disent les Pharisiens. Et pourtant, ce dimanche matin-là, en traversant une banlieue parisienne banale, dans cette voiture transportant trois personnes queers et des cartons mal fermés, nous savions que nous faisions la chose juste. L’histoire se termine bien. Après quelques mois sans arriver à se parler, le fils et les parents ont pu rouvrir le dialogue et finit par retoucher du doigt, au-delà de leurs craintes respectives, le lien d’amour qui les unissait avant et qui continue de les unir à présent. La vérité de ce jeune homme a été acceptée, il a été vu par les siens pour ce qu’il était : un fils intelligent, gentil, travailleur et désormais heureux dans sa vie d’homme gay.
Il est difficile pour certains et certaines de regarder en face la réalité des personnes queers qui viennent bousculer les genres et les rôles qui leur sont assignés. Peut-être parce que tout le travail de dégenrage fait par les queers interroge leurs normes bien formatées.
Mais j’aime à croire qu’il n’est jamais trop tard pour ouvrir les yeux. Accueillons-nous les unes les autres, célébrons nos diversités, que cette diversité soit en nous ou à côtés de nous, dans le foisonnement polymorphe et merveilleux de nos adelphes.

Del Kilhoffer

Militante féministe et queer, Del Kilhoffer a publié en septembre 2022 un essai biographique, Pauli Murray – sainte, queer, féministe aux éditions Ampelos.
Auparavant, elle a entre autres écrit pendant une dizaine d’années sur le théâtre et a travaillé pour l’Église épiscopale, notamment en tant que traductrice officielle de la Liturgie de bénédiction des couples de même sexe.