#
Bonne
Nouv.elle
!
— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.
S4 Episode 23
07/04/2023 – Vendredi saint
Lecture de l’évangile : Estelle
Textes du jour
Is 52, 13 – 53, 12
Ps 30
He 4, 14-16 ; 5, 7-9
Mt 18, 1 – 19, 42
(Lire les textes sur aelf.org)
Le texte de l’homélie
« Il apprit par ses souffrances l’obéissance et, conduit à sa perfection, il est devenu pour tous qui lui obéissent la cause du salut éternel. »
(He 5, 8-9)
Souffrance, obéissance, perfection.
Que de mots qui peuvent faire mal.
Que de mots qui m’ont fait mal.
Que de colère en moi contre cette croyance que la souffrance conduit à la perfection. Que la souffrance c’est OK. Voire même que c’est nécessaire. Qu’il faut mériter le salut, mériter l’amour, le bonheur, mériter son dessert, ses vacances, mériter la détente, mériter sa retraite.
Plus t’en fais plus c’est mérité… plus, plus, plus… si t’en fait pas assez ? C’est pas mérité. Cette culture du mérite par la souffrance elle légitime des violences. On apprend à être récompensé pour avoir eu mal. « Elle a travaillé si dur pour ça. Elle s’est donnée tant de mal ! » S’acharner, prendre cher dans sa chair. Jusqu’où ? jusqu’à l’épuisement ? la maladie ? la mort ? … Et cette vie à côté de laquelle je passe entre temps, on s’en occupe quand ? Et les violences qui causent ces souffrances, on continue à laisser faire ?
Je ne suis pas parent, mais l’enfant que j’ai été porte encore les stigmates du système punitif dans lequel elle a grandi. Cette enfant attend encore que quelqu’un se dresse devant celui qui la frappait, et dise : « Stop. Cette violence est inacceptable. » Que quelqu’un s’interpose, protège la petite personne qu’elle est et qui cherche à grandir, à découvrir le monde, à le comprendre, à l’aimer, à y trouver sa place. Protège celle qu’elle est, qui a besoin d’amour, de contact, de sécurité. Celle qui a besoin d’explorer, d’apprendre à accueillir ses larmes, ses joies, ses colères. Celle qui a besoin d’être reconnue dans qui elle est et ce qu’elle apporte au monde.
En ce moment, je lis Filles Corsaires de l’autrice québécoise Camille Toffoli. Elle réfléchit à la place des expériences personnelles douloureuses dans la culture militante et traduit un passage de l’universitaire Sara Ahmed qui dit :
« Je suggère que nous repensions notre relation aux blessures, autant émotionnelles que physiques. On dit souvent qu’une « bonne » cicatrice n’est pas apparente. […] Nous devons mettre en doute ce principe, et j’ai envie d’en proposer un autre, alternatif. Une bonne cicatrice est une marque saillante qui persiste sur la peau. Cela n’implique pas que la plaie continue à saigner ou reste ouverte. Seulement, la cicatrice est le signe qu’une blessure a été infligée, et même s’il y a guérison, même si la douleur vive est apaisée, les traces de la blessure doivent toujours demeurer visibles pour nous rappeler comment les préjudices commis façonnent le corps et la manière de l’habiter. »
Aujourd’hui, j’ai fait le deuil d’une tierce personne protectrice, j’ai, pas à pas, appris à me défendre moi-même, et aussi à tisser des relations dans lesquelles j’ai de moins en moins besoin de me protéger, de mériter quoi que ce soit, de faire mes preuves, avec des personnes qui sont OK de cohabiter avec mes cicatrices.
Parce que Camille Toffoli, elle propose que « rompre le cycle des violences », c’est pas seulement « apprendre à vivre avec notre passé pour avancer dans la vie » et donc faire disparaitre nos cicatrices, mais ça serait plutôt aux autres d’« apprendre à vivre avec nos cicatrices. »
La libération récente et croissante de la parole sur les violences sexuelles et sexistes n’est pas seulement une étape nécessaire et bienfaisante pour les victimes. Elle est aussi une épidémie de cicatrices, parfois guéries, parfois encore suintantes, que nous avons collectivement à apprendre à regarder, avec lesquelles nous avons à apprendre à vivre, même si elles perturbent notre regard. Surtout si elles perturbent notre regard.
C’est pareil pour les blessures et les morts des personnes qui militent pour la justice et écologique. Les yeux et les mains arrachées par les grenades policières, défenseuses de l’ordre établi. Les cicatrices sur ces corps-là, ces corps qui se dressent pour défendre une société plus juste, nous alertent sur les violences internes aux collectifs dont nous faisons partie. Ils nous alertent sur là où réside le pouvoir. Ils nous alertent sur la façon dont le pouvoir use de la violence pour conserver ses avantages.
Tel Pilate qui, face à Jésus, a le pouvoir soit de le relâcher, soit de le faire crucifier et qui plie à la mention de César. Tel le gouvernement français à Sainte Soline qui a le pouvoir de déployer soit des forces de l’ordre, soit des forces de dialogue et qui choisit de préserver les intérêts économiques de certains. Tel le parent face à son enfant qui aurait pu chercher à comprendre ce qui se passe pour elle, mais qui impose son autorité par la force répressive.
L’indifférence face aux violences infligées par les puissants rend complices celles et ceux qui bénéficient directement ou indirectement de ce rapport de pouvoir. Les cicatrices physiques et psychiques de ces corps vivants ou morts nous informent des crimes qui ont été commis sous nos yeux. Elles nous informent des systèmes de domination en œuvre autour de nous. Nous informent de là où nous faillissons collectivement. Nous informent de la douleur de celles et ceux dont l’intégrité a été violée, de la résilience de celles et ceux qui survivent à un pouvoir abusif, et du courage qu’il faut pour s’opposer aux forces qui détruisent la vie.
Jésus lui-même porte les stigmates de son combat pour la justice. Tout au long de sa passion il offre à ceux qui ont le pouvoir sur lui de choisir le dialogue, de choisir l’altérité. Il offre à voir la vulnérabilité que c’est d’être du mauvais côté de l’échelle des dominations. Son courage peut inspirer le nôtre dans nos combats, mais en aucun cas il ne nous propose ni de souffrir pour mériter notre ciel, ni de nous laisser crucifier par les violences des puissants.
Construire un monde plus juste, plus aimant, plus doux, nécessite de mettre en sécurité des personnes, des communautés, des écosystèmes. Face à la violence de plus puissant que soi, préserver la vie nécessite parfois de mettre en place des formes de résistance, d’occupation, de sabotage. Pour dénoncer, hurler justice, et mettre hors d’état de nuire des systèmes ou des infrastructures. A nous, en notre conscience profonde, de distinguer les actes qui cherchent à préserver des actes qui cherchent à nuire. A nous de ne pas confondre la violence des puissants avec la fureur de celles et ceux qui refusent de laisser faire cette violence, et pour se faire résistent, occupent, sabotent. Ces actes cherchent-ils à réduire les inégalités, ou à les augmenter ? Combattent-ils bien les causes de nos crises sociales et climatiques, ou les aggravent-ils ? Ces interrogations et les actions qui en découlent sont nécessaires pour construire ce monde plus juste, plus aimant, plus doux que les chrétien·nes appellent le royaume de dieu·e. ↓
			(He 5, 8-9)
Souffrance, obéissance, perfection.
Que de mots qui peuvent faire mal.
Que de mots qui m’ont fait mal.
Que de colère en moi contre cette croyance que la souffrance conduit à la perfection. Que la souffrance c’est OK. Voire même que c’est nécessaire. Qu’il faut mériter le salut, mériter l’amour, le bonheur, mériter son dessert, ses vacances, mériter la détente, mériter sa retraite.
Plus t’en fais plus c’est mérité… plus, plus, plus… si t’en fait pas assez ? C’est pas mérité. Cette culture du mérite par la souffrance elle légitime des violences. On apprend à être récompensé pour avoir eu mal. « Elle a travaillé si dur pour ça. Elle s’est donnée tant de mal ! » S’acharner, prendre cher dans sa chair. Jusqu’où ? jusqu’à l’épuisement ? la maladie ? la mort ? … Et cette vie à côté de laquelle je passe entre temps, on s’en occupe quand ? Et les violences qui causent ces souffrances, on continue à laisser faire ?
Je ne suis pas parent, mais l’enfant que j’ai été porte encore les stigmates du système punitif dans lequel elle a grandi. Cette enfant attend encore que quelqu’un se dresse devant celui qui la frappait, et dise : « Stop. Cette violence est inacceptable. » Que quelqu’un s’interpose, protège la petite personne qu’elle est et qui cherche à grandir, à découvrir le monde, à le comprendre, à l’aimer, à y trouver sa place. Protège celle qu’elle est, qui a besoin d’amour, de contact, de sécurité. Celle qui a besoin d’explorer, d’apprendre à accueillir ses larmes, ses joies, ses colères. Celle qui a besoin d’être reconnue dans qui elle est et ce qu’elle apporte au monde.
En ce moment, je lis Filles Corsaires de l’autrice québécoise Camille Toffoli. Elle réfléchit à la place des expériences personnelles douloureuses dans la culture militante et traduit un passage de l’universitaire Sara Ahmed qui dit :
« Je suggère que nous repensions notre relation aux blessures, autant émotionnelles que physiques. On dit souvent qu’une « bonne » cicatrice n’est pas apparente. […] Nous devons mettre en doute ce principe, et j’ai envie d’en proposer un autre, alternatif. Une bonne cicatrice est une marque saillante qui persiste sur la peau. Cela n’implique pas que la plaie continue à saigner ou reste ouverte. Seulement, la cicatrice est le signe qu’une blessure a été infligée, et même s’il y a guérison, même si la douleur vive est apaisée, les traces de la blessure doivent toujours demeurer visibles pour nous rappeler comment les préjudices commis façonnent le corps et la manière de l’habiter. »
Aujourd’hui, j’ai fait le deuil d’une tierce personne protectrice, j’ai, pas à pas, appris à me défendre moi-même, et aussi à tisser des relations dans lesquelles j’ai de moins en moins besoin de me protéger, de mériter quoi que ce soit, de faire mes preuves, avec des personnes qui sont OK de cohabiter avec mes cicatrices.
Parce que Camille Toffoli, elle propose que « rompre le cycle des violences », c’est pas seulement « apprendre à vivre avec notre passé pour avancer dans la vie » et donc faire disparaitre nos cicatrices, mais ça serait plutôt aux autres d’« apprendre à vivre avec nos cicatrices. »
La libération récente et croissante de la parole sur les violences sexuelles et sexistes n’est pas seulement une étape nécessaire et bienfaisante pour les victimes. Elle est aussi une épidémie de cicatrices, parfois guéries, parfois encore suintantes, que nous avons collectivement à apprendre à regarder, avec lesquelles nous avons à apprendre à vivre, même si elles perturbent notre regard. Surtout si elles perturbent notre regard.
C’est pareil pour les blessures et les morts des personnes qui militent pour la justice et écologique. Les yeux et les mains arrachées par les grenades policières, défenseuses de l’ordre établi. Les cicatrices sur ces corps-là, ces corps qui se dressent pour défendre une société plus juste, nous alertent sur les violences internes aux collectifs dont nous faisons partie. Ils nous alertent sur là où réside le pouvoir. Ils nous alertent sur la façon dont le pouvoir use de la violence pour conserver ses avantages.
Tel Pilate qui, face à Jésus, a le pouvoir soit de le relâcher, soit de le faire crucifier et qui plie à la mention de César. Tel le gouvernement français à Sainte Soline qui a le pouvoir de déployer soit des forces de l’ordre, soit des forces de dialogue et qui choisit de préserver les intérêts économiques de certains. Tel le parent face à son enfant qui aurait pu chercher à comprendre ce qui se passe pour elle, mais qui impose son autorité par la force répressive.
L’indifférence face aux violences infligées par les puissants rend complices celles et ceux qui bénéficient directement ou indirectement de ce rapport de pouvoir. Les cicatrices physiques et psychiques de ces corps vivants ou morts nous informent des crimes qui ont été commis sous nos yeux. Elles nous informent des systèmes de domination en œuvre autour de nous. Nous informent de là où nous faillissons collectivement. Nous informent de la douleur de celles et ceux dont l’intégrité a été violée, de la résilience de celles et ceux qui survivent à un pouvoir abusif, et du courage qu’il faut pour s’opposer aux forces qui détruisent la vie.
Jésus lui-même porte les stigmates de son combat pour la justice. Tout au long de sa passion il offre à ceux qui ont le pouvoir sur lui de choisir le dialogue, de choisir l’altérité. Il offre à voir la vulnérabilité que c’est d’être du mauvais côté de l’échelle des dominations. Son courage peut inspirer le nôtre dans nos combats, mais en aucun cas il ne nous propose ni de souffrir pour mériter notre ciel, ni de nous laisser crucifier par les violences des puissants.
Construire un monde plus juste, plus aimant, plus doux, nécessite de mettre en sécurité des personnes, des communautés, des écosystèmes. Face à la violence de plus puissant que soi, préserver la vie nécessite parfois de mettre en place des formes de résistance, d’occupation, de sabotage. Pour dénoncer, hurler justice, et mettre hors d’état de nuire des systèmes ou des infrastructures. A nous, en notre conscience profonde, de distinguer les actes qui cherchent à préserver des actes qui cherchent à nuire. A nous de ne pas confondre la violence des puissants avec la fureur de celles et ceux qui refusent de laisser faire cette violence, et pour se faire résistent, occupent, sabotent. Ces actes cherchent-ils à réduire les inégalités, ou à les augmenter ? Combattent-ils bien les causes de nos crises sociales et climatiques, ou les aggravent-ils ? Ces interrogations et les actions qui en découlent sont nécessaires pour construire ce monde plus juste, plus aimant, plus doux que les chrétien·nes appellent le royaume de dieu·e. ↓
Valentine Rinner
			Je suis membre d’Oh My Goddess! depuis ses débuts. J’aime les livres illustrés, la chanson Fille du Vent de Keny Arkana et les théologies féministes. C’est difficile pour moi de gérer les stimulis sensoriels, d’accepter d’avoir tort et de pédaler face au vent. En ce moment, je dois ma santé mentale à Julia Cameron, l’autrice de The Artist Way.