#

Bonne

Nouv.elle

!

— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.

S4 Episode 24

08/04/2023 – Samedi saint

Méditation par Astrid de Chassey

Et sur Anchor.fm, Spotify ou d’autres plateformes de podcasts.

Le texte de l’homélie

La question de la résurrection après la mort, en toute honnêteté, ne m’intéresse pas beaucoup. Ce ne sera toujours qu’une affaire de croyance qu’on n’est pas en mesure de vérifier – ça ne me semble donc pas très efficace. Et puis le Dieu de Jésus « n’est pas le Dieu des morts mais des vivants » (Lc 20, 38). Donc je me demande ce que ça signifie de maintenir vivante la Pâques du Christ ? Je crois que c’est d’abord en l’appliquant aux épreuves de nos vies, ici et maintenant. Et que ce n’est pas un message au rabais : vivre en osant sauter dans le vide, ça change tout.
Cette dimension existentielle de la Pâques de Jésus, pour le coup, ça me parle. Alors qu’est-ce que ça veut dire de vivre « même si je meurs » (Jn 11, 25) ? Je le comprends plus facilement dans l’autre sens : la vie inclut la mort, il faut apprendre à mourir pour vivre vraiment. C’est-à-dire apprendre à traverser le samedi saint. Mais du coup ça ressemble à quoi à vivre ?
On peut déjà se convaincre que cette vie-là est fondamentalement imprévisible. Elle n’est pas de l’ordre du probable mais du possible. Les amies de Jésus ne s’attendent pas à trouver le « jeune homme vêtu de blanc » dans le tombeau ; elles sont effrayées par cette rencontre (Mc 16, 5). Personne ne s’attend à la résurrection de Jésus malgré toutes ses annonces. On ne s’attend jamais à la vie qui va surgir de la mort. On ne peut pas la prévoir à l’avance, la planifier sur dix ans.
Ça fait quoi d’être confronté·e à cette imprévisibilité ? Si je retourne à l’évangile en rembobinant un peu : Jésus est mort. Ses ami·es ont quitté le Golgotha pour « observer le repos prescrit » pendant le sabbat (Lc 23, 56). J’imagine qu’à la douleur et la tristesse de la perte de leur proche se mêlent la déception, l’humiliation, la désespérance pour ces fidèles qui avaient placé tous leurs espoirs dans cet imposteur, mort humilié et impuissant. Ce type de pensées parasites les ont sûrement tourmenté·es ; elles devaient se mélanger avec d’autres souvenirs, des mots qu’il avait prononcés, des promesses qu’il avait faites. J’imagine le trouble dans lequel ils et elles devaient être plongé·es. Et cette agitation interne résonne avec ce que je vis en ce moment, alors que je cherche quelle forme donner à la suite de ma vie. J’ai l’impression que mon ancien moi est bien mort, qu’il est derrière moi et pourtant je ne sais pas du tout où je vais, je n’arrive pas à me représenter à quoi ça va ressembler. Je suis comme coincée dans l’entre-deux. Ça peut me faire tourner à vide dans des pensées angoissantes. Je crois vraiment qu’on vit une forme de mort chaque fois que notre identité se décompose et pose une question béante à notre avenir. Quand quelque chose de notre passé a été remis en question et a fait disparaître l’avenir qu’on s’était imaginé·e, on a un samedi saint à traverser.
Bon, j’imagine que la capacité à supporter le trouble dépend des caractères – pour moi c’est très dur ! J‘ai parfois l’impression d’avoir perdu toute direction. Mille stratégies d’évitement s’activent pour éviter l’inconfort de rester dans le chaos. Dans ces circonstances, m’arrimer au samedi saint m’aide à m’ancrer dans le passage qui se vit. Parce que samedi saint, c’est le pont solide entre la mort de Jésus et sa résurrection. Parce qu’il ne nie pas la difficulté du processus, il me permet paradoxalement de tourner mon regard vers la vie qui cherche à se frayer un chemin. Une phrase de l’anthropologue Nastassja Martin m’aide à comprendre ce qui m’arrive : « Je suis en train de devenir quelque chose que j’ignore ; ça parle à travers moi. » [1] Samedi saint en fait, c’est le moment où les forces de métamorphose sont agissantes. Avant que je ne puisse me recevoir dans une nouvelle forme, il y a un moment où je ne me reconnais plus, où je ne perçois que ce qui a été défiguré. Je ne saisis pas toujours ce qui est en train de bouger. C’est comme s’il y avait un travail de remodelage qui se déroulait en coulisses.
Si j’en accepte l’épreuve, alors je pourrai faire l’expérience d’un autre avenir qui se déploiera sous mes yeux. C’est la promesse de la résurrection qui est affaire de foi : il n’y a pas de raccourci possible, on ne peut pas faire l’économie de cette phase de suspension ou sauter par-dessus le temps du deuil. Sans samedi saint, pas de dimanche de Pâques. Sans traversée du trouble, pas de transformation.
Je suis passée à côté pendant le premier confinement. Je l’ai vécu comme un moment d’arrêt enfermant. Mais récemment, j’ai découvert qu’un nombre fou de projets étaient nés à ce moment-là. Donc pendant que moi, j’avais l’impression que tout était mort, d’autres personnes étaient en train de se mettre en lien et de créer des nouvelles choses. Du coup ça retourne la problématique. La question devient, comment est-ce que j’aborde ces moments déstabilisants, quand les choses m’échappent (ce que la philosophe Sara Ahmed identifie comme les moments queer) ? Est-ce que je les ramène dans le rang de force pour rester dans mon « plan de vie à dix ans » ou est-ce que je lâche prise, leur permettant d’acquérir de nouvelles formes et de nouvelles directions ? [2] Et finalement comment est-ce que je m’aménage même des temps de suspension, de silence, pour laisser ma créativité émerger ? Parce qu’aujourd’hui, en pleine catastrophe écologique, l’enjeu n’est pas seulement personnel, il est politique : quand les écosystèmes sont déséquilibrés et changent à toute vitesse, on va bien devoir apprendre à habiter ces espaces instables.
Pour m’aider à tenir dans cet inconfort déstabilisant du samedi saint, je m’astreins à faire comme Nastassja Martin : « je m’applique à ne rien faire, je voudrais même essayer d’arrêter de penser. Ce matin, je me dis qu’il faut surtout que je cesse de vouloir – comprendre guérir voir savoir prévoir tout de suite. Au fond des bois gelés, on ne “trouve” pas de réponses : on apprend d’abord à suspendre son raisonnement et à se laisser prendre par le rythme, celui de la vie qui s’organise pour rester vivants dans une forêt en hiver. J’essaie de trouver en moi un silence aussi profond que celui des grands arbres dehors qui se tiennent immobiles et verticaux dans le froid. »
Sources :
[1] Nastassja Martin, Croire aux fauves, Gallimard, 2019.
[2] Sara Ahmed, Queer phenomenology, Duke University Press, 2006.

Astrid de Chassey

Selon l’astrologie maya, je suis née sous le signe de la tempête bleue, ce qui me pousserait à façonner ma vie à partir du pouvoir de transformation. En pleine énième mue, je trouve ça rassurant.

Ce qui ne change pas, c’est que je suis une indécrottable féministe qui aime les (bons) mots – parmi lesquels, le mot « indécrottable ».