#

Bonne

Nouv.elle

!

— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.

S5 Episode 2

31/12/2023 – La sainte famille

Lecture de l’évangile : Claire

Homélie : Alice

Et sur Anchor.fm, Spotify ou d’autres plateformes de podcasts.

Textes du jour

Gn 15, 1-6 ; 21, 1-3
Ps 104
He 11, 8.11-12.17-19
Lc 2, 22-40
(Lire les textes sur aelf.org)

Le texte de l’homélie

L’évangile d’aujourd’hui est sur la présentation au temple et la fête de la Sainte Famille.
Je me souviens du dimanche il y a deux ans où j’ai entendu cet évangile lu à la messe. J’étais à Paris, rentrée rendre visite à ma propre famille, elle-même un peu compliquée. Il y avait beaucoup de joie aussi à ce moment-là car je commençais une relation amoureuse avec celle qui est toujours ma compagne, ma bien-aimée. Ce dimanche soir nous étions ensemble, elle et moi, et nous sommes allées par curiosité dans une église. Je venais de recommencer à retourner à l’église après des années de rupture avec la foi et le rituel religieux.
Pour elle aussi, c’était le premier retour à l’église. Elle-même avait été élevée dans la foi catholique et rejetée par la suite. Pour elle aussi, c’était le premier retour à l’Église et elle le faisait pour me faire plaisir.
Quand j’ai mis les yeux sur la feuille paroissiale, j’ai vu que c’était la Sainte Famille et j’ai tout de suite senti de l’appréhension. Mais je me suis dit : la Manif pour tous, c’était il y a longtemps. L’homélie a bien commencé. Je ne sais plus ce qui a été dit sur le texte mais le prêtre a posé la question suivante, ça je m’en souviens : qu’est-ce qui fait que la Sainte Famille est sainte ? Et ce qu’il a dit, c’est que ce n’est pas parce qu’ils sont tous individuellement saints, Marie, Joseph, et Jésus, que la Famille Sainte est sainte, mais parce que le lien entre eux est saint. Et donc, qu’est-ce que c’est que ce lien de sainteté ?
De manière assez triste et à la fois inattendue et attendue, au lieu de répondre à la question, le prêtre est soudain parti en roue libre. Et la parole redoutée est venue : la relation sainte c’est la relation entre un homme et une femme. Et il ne fallait pas tomber dans ces bêtises de parent A et de parent B.
J’étais glacée et terrifiée, me sentant attaquée, coupable d’avoir menée ma compagne dans ce guet-apens, blessée d’avoir su, avant même qu’il en parle, ce qu’il allait dire. Elle, elle voulait se lever sur-le-champ. Et moi, j’étais terrifiée de partir, de faire une scène, qu’il nous prenne à parti, de nous rendre encore plus vulnérables face à une assemblée silencieuse comme nous. Alors, on s’est tenues la main toute la fin de l’homélie et nous sommes parties dès qu’il a fini.
Je me souviens que pendant l’homélie je scrutais l’assemblée pour des signes de désapprobation. J’espérais que, comme nous, d’autres personnes n’étaient pas d’accord avec ce qu’il disait.
Une fois dehors, on a ri et plaisanté. On a fait la blague classique : est-ce que le prêtre a oublié que Jésus a deux papas ? Mais ça restait difficile. Pourquoi fallait-il que ce jour-là, quand nous revenions à l’église, nous ayons à entendre ce message ? Pourquoi fallait-il être rejetées encore, être rappelées à la réalité homophobe de l’Église qui a été notre famille, qui nous a aidées à constituer notre famille choisie d’ami·e·x ?
Syméon et Anne, dans l’évangile, reconnaissent Jésus et quittent le temple pleins de joie, tout s’est accompli. Et je me sentais bien loin de ce sentiment-là et de cette joie. Mais l’évangile de la présentation au temple est aussi à propos de paroles peu comprises, mal comprises. Marie et Joseph ne comprennent pas ce que dit Syméon, lui qui loue l’enfant et le décrit comme un signe de contradiction, un glaive. Pour moi, cet évangile de la Sainte Famille parle nécessairement de toutes nos familles et de la famille qu’est l’Église.
Le prêtre avait raison de dire que la Sainte Famille est sainte non pas à cause de l’identité des personnes de la famille mais à cause du lien qui les unit. Et pour moi, paradoxalement, cela revient à dire que les familles qui ne sont pas dans la norme hétéronormative, sont aussi peut-être saintes. Moi aussi, dans ma relation avec une femme j’aspire à avoir un amour qui m’ouvre aux autres, qui me rend la meilleure version de moi-même, qui crée des contradictions en moi et me force à grandir. J’aspire à créer une famille avec deux mamans et pas moins sainte ou plus sainte qu’une autre famille.
Je repense souvent à ce rapport ambivalent que j’ai à l’Église et qui se révèle douloureusement quand l’homophobie apparaît lors d’une homélie. Mais ce que je retiens de tout cela, c’est qu’un prêtre peut poser la bonne question et pourtant répondre à côté. Que nos familles, comme l’Église, peuvent nous parler très profondément de ce que nous sommes et être aussi très bêtes. Personne ne se demande plus souvent ce que c’est qu’une famille sainte, saine, aimante, que les familles qui ne ressemblent pas à ce trio Marie, Joseph, Jésus. Et la sainteté, du moins telle que moi je la comprends, c’est aller plus loin précisément, repenser le lien qui nous unit aux autres. Les saints sont un peu bizarres, ils font des choses inattendues, ils nous forcent à nous dire « je croyais que j’avais compris ce qu’était l’amour, ce qu’était l’attention aux autres mais peut-être que je dois y repenser maintenant ». Je pense que nous ne devons pas nous priver de la richesse des expériences queer pour repenser le lien qui unit les familles. Et aujourd’hui, pour la Sainte Famille, moi aussi je veux présenter ma famille au temple, quoi qu’en pense l’Église. D’abord mes parents, ma sœur, nos liens compliqués, difficiles et aimants mais aussi la famille que j’aspire à être, que je suis déjà avec ma compagne et qui, je le crois, trouve aussi grâce aux yeux de Dieu.
Alice
Je vis au Royaume-Uni où je fais un post-doctorat. Élevée dans la spiritualité ignacienne, je me suis distancée de l’église catholique après la Manif pour tous. Je vais maintenant à l’église anglicane dans la ville où je vis. Ma paroisse fait partie du Open Church Network et promeut une culture inclusive au sein de l’église anglicane (notamment pour la communauté LGBTQ+).