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Bonne

Nouv.elle

!

— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.

S5 Episode 6

30/03/2024 – Samedi saint

Méditation par Lisa Isherwood (traduction française lue par Teresa)

Version originale en anglais

Le texte de l’homélie

Aujourd’hui c’est le Samedi Saint et en ce jour, l’Église attend, tandis que Jésus repose dans la tombe, déposé là par des ami·es aimant·es qui ont pris soin de son corps torturé et mort. La lecture de l’Évangile de Jean nous indique que Joseph d’Arimathie, qui était un disciple secret « par peur des Juifs », a néanmoins eu le courage de demander à Pilate s’il pouvait enterrer Jésus. Joseph et Nicodème ont enveloppé son corps dans du lin, de la myrrhe et de l’aloès et l’ont placé dans un tombeau inutilisé à proximité. Matthieu ajoute les détails selon lesquels Marie Madeleine et une autre Marie se sont assises en face du tombeau. Jésus est mort et enterré et l’Église attend. Qu’attendent les croyants en ce temps de deuil ? L’Église attend que le fils unique de Dieu ressuscite, prouvant ainsi la puissance de Dieu à vaincre même la mort et promettant la vie éternelle aux croyants. Les théologiens ont spéculé que pendant ce temps de mort, Jésus est descendu en enfer afin de comprendre ce qu’enduraient ceux qui y finissaient, ou même de pardonner les péchés de ceux qui s’y trouvent déjà. Cet homme/Dieu devait vivre tout ce dont les humains pouvaient faire l’expérience. Des histoires de mort et de résurrection d’hommes/dieux se retrouvent dans de nombreuses religions du monde et différentes interprétations entourent ces récits. Cependant, la plupart comprennent que cet événement concerne l’individu seul, bien qu’il y ait bien sûr des implications pour les croyant·es. Ainsi, le Samedi Saint, nous pleurons et nous attendons dans l’anticipation d’un dénouement glorieux : la résurrection de Jésus, fils unique de Dieu.
Ces dernières années, il y a eu un changement dans notre compréhension de la nature de l’Incarnation, c’est-à-dire la manière dont Dieu se fait chair. Pendant des milliers d’années, l’Incarnation a été simplement comprise comme se référant à l’homme Jésus. Cela a conduit à des doctrines et des éthiques qui considèrent sa vie comme le modèle parfait pour les chrétiens. L’homme mâle, hétérosexuel, célibataire a été considéré comme l’idéal et le plus agréable à Dieu. Les théologiennes féministes ont souligné comment cela a placé les femmes du côté de l’exclusion, de la suspicion, de la torture, voire du meurtre clérical lors des chasses aux sorcières. À cette époque, un autre groupe de personnes vivait également dans la peur. Les hommes gays étaient souvent jetés au bûcher aux côtés des sorcières. Ces personnes et d’autres étaient en dehors de l’incarnation parfaite de Dieu en la personne de Jésus et étaient donc considérées comme des pécheurs, voire comme moins que des humains. Bien que la situation des femmes soit quelque peu meilleure aujourd’hui, l’Église semble préoccupée par des questions liées aux personnes LGBTIQ+ : dans le pire des cas, les déclarations du clergé semblent nier leur humanité et, finalement, même dans le meilleur des cas, on observe un déni de leur pleine humanité avec des interdictions liée à leur intimité et bien sûr au sacrement du mariage. Des chrétien·nes baptisé·es, vivant des vies authentiques, se voient refuser un sacrement, pouvez-vous le croire ?
Mais comment cette nouvelle compréhension de l’Incarnation modifie-t-elle notre perception et notre compréhension du Samedi Saint ? Toujours basée sur les récits bibliques et les paroles de Jésus, la recherche contemporaine comprend l’Incarnation comme une incarnation plus large du divin. L’Évangile de Marc est un bon point de départ et un bon point de conclusion. Mais pour l’instant, commençons par le début ! Cet évangile parle de la dynamis, qui est un droit de naissance divin de connexion et d’autonomisation, et cela est contrasté avec l’exousia, qui signifie le « pouvoir sur », pouvoir que Jésus dénonce tout au long de l’évangile. Cette énergie divine partagée est en tout ce qui vit, en tout ce qui a le souffle de Dieu – ruah – en lui. C’est cette énergie et son pouvoir de transformation que Jésus a reconnues comme un processus dans sa propre vie et celle des autres, appelant ceux qui se tenaient avec lui des amis et non des serviteurs. Tout ce qui a la vie contient en lui cette énergie divine. L’Incarnation est donc une réalité multidimensionnelle vécue en nous et entre nous, et pas seulement dans la vie, la mort et la résurrection d’un seul homme, Jésus.
De nombreux mystiques à travers les âges ont parlé de cette manière, expérimentant cette énergie divine dans leurs veines, mais jusqu’à relativement récemment, leurs paroles n’ont eu aucun impact sur la doctrine de l’Église. Pourtant, depuis le XXe siècle, lorsque la vie de personnes ordinaires et leur expérience vécue sont devenues le sujet de la théologie, il y a eu un changement de cœur. Les personnes marginalisées et opprimées ne sont plus simplement celles dont on parle dans le domaine des droits de l’homme, elles font partie du déploiement divin dans le monde qui est nié et opprimé.
Ainsi, en ce Samedi Saint, que pourrions-nous dire à partir de cette position incarnée ?
Jésus est seul, mort, rejeté dans l’obscurité du tombeau, placé là sans aucun doute par des mains soucieuses, mais la réalité est la même. La pierre n’assure aucune issue, Jésus est enterré tout comme de nombreuses personnes LGBTIQ+ le sont aujourd’hui par les préjugés et la haine qui leur sont jetés par les médias, la famille, la société et l’Église. Beaucoup trouvent impossible de saisir leur propre nature divine et leur propre valeur sous ce poids constant et beaucoup embrassent la haine de soi et l’homophobie interne. Ces âmes glorieusement incarnées sont enfermées dans le « pouvoir sur » que le monde leur assène et que Jésus détestait. Devons-nous attendre une résurrection glorieuse alors que dans de nombreuses régions du monde, nos frères et sœurs LGBTIQ+ sont tuées, soit par l’État, soit par des actes de haine au hasard ?
NON – tout comme Marie Madeleine, nous devons être attiré·es par l’amour pour chercher et être présent·es les uns pour les autres. Pour elle, cela a dû être douloureux de faire face au tombeau dans lequel son bien-aimé reposait après avoir été témoin de sa torture et de sa mort horrible. Pour nous aussi, être présent·es ne se fera pas sans douleur alors que nous nous rappelons les multiples façons dont notre propre humanité a été broyée. Les nombreuses fois où nous avons dû renier qui nous sommes ou affronter la colère des autres, voire des menaces physiques. Les multiples rejets ou même les inclusions condescendantes par d’autres laissent toutes des cicatrices et c’est ce que nous affrontons lorsque nous osons être présent·es pour les autres.
Ce que Marie Madeleine nous montre, c’est que c’est l’amour qui redonne vie à Jésus et c’est l’amour qui permet aux personnes queer d’être pleinement vivantes – de sortir du tombeau créé par l’ignorance et les préjugés des autres et d’embrasser notre nature divine. Ce n’est pas une mince affaire, car les nombreuses crucifixions que les personnes LGBTIQ+ auront endurées tout au long de leur vie rendent le chemin de l’amour de soi et des autres douloureux. Pour les catholiques, il y a une situation étrange : l’Église déclare que le fait d’être gay n’est pas en soi un péché, mais le mettre en acte l’est. Comment se diviser ainsi sans se nuire intérieurement ? Ce que les personnes LGBTI+ offrent à l’Église dans cette affaire, c’est que nous aimons de toutes nos forces, tout comme Jésus l’a fait, et si nous craignons tout type d’intimité, cela nous diminue – cela emprisonne notre énergie divine qui est le don de la vie. Jésus touchait les gens et les récits nous disent qu’à travers cette intimité réouverte, le déploiement du divin dans leur vie pouvait recommencer. Refuser aux gens l’intimité dans leur vie, c’est leur refuser la guérison de la reconnaissance par le toucher et leur processus de devenir divin.
Revenons maintenant à Marc. Son évangile est le seul à l’origine à ne pas comporter d’histoire de résurrection – était-ce un accident ? Ou peut-être, étant donné sa concentration sur la dynamis et notre droit de naissance divin, était-ce délibéré ? Si tel est le cas, qu’est-ce que cela signifie en ce Saint-Samedi ? Devrions-nous attendre avec impatience la résurrection de Jésus ou devrions-nous nous lever et déclarer que le divin peut ressusciter dans la vie de toustes lorsque nous clamons notre droit de naissance divin. Même ceux et celles qui ont été diabolisées et traitées comme moins qu’humains par l’Église peuvent embrasser ce jour comme leur résurrection, sortant de sous le préjugé et l’intolérance et s’appropriant enfin leur propre droit divin.
En ce jour, embrassez votre humanité divine, frères et sœurs, et ressuscitez, fièr·es que dans vos vies, la lumière de Dieu brille dans le monde.
Lisa Isherwood
Lisa Isherwood est théologienne et professeure à l’université du pays de Galles, Trinity Saint Davis. Ses travaux en théologie portent sur des domaines comme le corps, le genre, la sexualité ou l’éco-théologie. Elle a fondé le Journal International de Théologie Féministe et a écrit et dirigé plus d’une vingtaine de livres sur le sujet, faisant d’elle une figure incontournable de l’histoire des théologies féministes et queer. Lisa Isherwood est catholique.