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Bonne

Nouv.elle

!

— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.

S5 Episode 7

31/03/2024 – Pâques

Lecture de l’évangile : Marina

Homélie : Lucie

Textes du jour

Ac 10, 34-43
Ps 117
1 Co 5, 6b-8
Jn 20, 1-9
(Lire les textes sur aelf.org)

Le texte de l’homélie

Au commencement était l’obscurité, une obscurité infinie, sans fissure et sans fracture, celle du tout début de la Genèse, qu’on lit le soir de la veillé Pascale. Avant même le début du texte, avant les mots « au commencement », l’obscurité de la présence absolue de Dieu·e.
Cette présence qui est tout, ce matériau ininterrompu de Dieu·e se tord pour qu’apparaisse quelque chose d’autre. « Dieu·e créa le ciel et la terre, la terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l’abîme et le souffle de Dieu·e planait au-dessus des eaux ». Dieu·e se serre un peu sur elle-même pour que soit possible cette dimensionnalité d’un dessus et d’un dessous, cet espace de l’abîme.
Il faut absolument de l’espace, dès les tous premiers mots du long récit biblique, pour que la parole vivante convoque la vie dans la vie et dise : « qu’il y ait une voute céleste, que la terre produise de l’herbe, que le ciel soit rempli d’oiseaux, que l’être humain soit à mon image. »
Il est décrit si précisément, ce foisonnement qui émerge de l’obscurité : le cycle de la vie végétale, la taille des différents animaux marins, le va et vient des bêtes sur la terre… Mais une absence semble s’être tissée à la matière du vivant parce que de la place de Dieu·e dans ce monde, il n’est question nulle part. Le septième jour même, Dieu·e se repose, c’est-à-dire s’absente.
Au fil de la Genèse, de l’Exode et des livres suivants, la douceur discrète de cette absence initiale prend une coloration douloureuse, parfois même horrifiée : où est la source de la vie, dans cette vie abîmée ? Où est cette présence supposée nous racheter à la violence et à la mort ? Les personnages des récits bibliques voient leurs moments de prospérité comme le signe que Dieu·e leur est favorable ; interprètent les horreurs de l’histoire comme une conséquence de la colère, voire de l’absence d’une divinité qui se serait détournée d’eux.
Aujourd’hui, il ne faut pas beaucoup d’effort en regardant autour de nous – vers les douze mille enfants tués avec des armes occidentales à Gaza, notre indifférence au sort des militantes kurdes et des combattantes arméniennes, les dix féminicides par jours au Mexique et les dizaines de milliers de viols et d’agressions sexuelles chaque année en France – pour dire avec le psalmiste « Combien de temps Seigneur, nous oublieras tu, combien de temps nous cacheras tu ton visage ? »
Et ce n’est pas seulement la présence de Dieu·e dans ce monde qui est incertaine, mais notre propre capacité à nous positionner. Peu d’entre nous pourraient répondre à la question « qu’as-tu fait de ton adelphe ? Es-tu allé·e au bout de l’engagement contre les systèmes qui détruisent le vivant ? » avec ces vers d’une déportée poétesse « Quand j’ai vu ce que j’ai vu souffrir […], j’ai su que rien n’était de trop dans cette lutte ». [1]
Le Christ, parce qu’il savait lui aussi que rien n’était de trop dans son étrange lutte, est allé jusqu’à la condamnation à mort. Il est atroce le jour de Pâques, où une marginale cherche en pleurant le corps de son ami torturé pour l’enduire d’huile, où les partisans d’une révolution ratée ressassent leur échec en marchant sur des chemins de campagne !
Et pourtant, constatant l’absence du corps de leur ami et le linge bien plié à plat sur la pierre, dans le tombeau vide où ne doivent résonner que leurs souffles et les battements de leurs cœurs fatigués par la course, Simon Pierre et son ami se mettent à croire des choses impossibles. Qu’est-ce qu’il se passe, pour que l’absence de Dieu·e les convertissent à la certitude de sa présence ?
Au même moment sur les chemins qui fuient de Jérusalem vers l’ouest, deux hommes parlent avec un étranger. Il est précieux cet échange entre Cléophas et le Christ qu’il ne reconnaît pas. Dieu·e devient l’inconnu à qui nous parlons de lui-même, de notre désir inassouvi d’une présence que nous ne savons pas reconnaître, de l’espoir fragile – souvent contredit – en un salut.
Dans son petit livre Le concept de Dieu après Auschwitz, le philosophe juif Hans Jonas écrit que « la divinité, engagée dans l’aventure de l’espace et du temps, ne voulut rien retenir de soi ; il ne subsiste d’elle aucune partie préservée, immunisée, en état de diriger, de corriger, finalement de garantir depuis l’au-delà l’oblique formation de son destin, au sein de la création. L’esprit moderne repose sur cette immanence absolue. Et son courage ou son désespoir, en tout cas son amère honnêteté, consiste à prendre au sérieux notre être au monde […] ». [2]
La résurrection creuse jusqu’au plus profond le mouvement radical de la création, nous invite à prendre au sérieux notre être au monde parce que Dieu·e est là, dans la vie qui naît et que nous défaisons, dans le vivant qui meurt et ce qui survit à la violence.
Que font les disciples lorsqu’ils courent vers le tombeau ou confient leur peine à quelqu’un qui marche à côté d’eux, si ce n’est se mettre à jour de leur besoin immense, puissant, que la vie survive à la mort ? S’ils trouvent le Christ dans leur propre désir et le visage d’un inconnu, c’est que nous sommes peut-être, avec tout ce qui nous entoure, les visages et la récolte de Dieu·e, sa douleur et sa résurrection.
Nous célébrons aujourd’hui la résistance face à la violence, notre devoir absolu envers la vie en nous-même et dans l’autre parce que la lumière opaque de la résurrection est dans tous·tes les vivant·es.
« A toi la maison ouverte sur le monde, et l’amour qui appelle sur le champ de bataille.
A toi le don qui reste un gain, quand toutes les choses semblent perdues, et la vie qui coule au travers du gouffre de la mort.
A toi le ciel caché dans la terrestre poussière ; et tu es là pour moi. Tu es là pour tous. » [3]
Sources :
[1] Delbo, Charlotte. Prière aux vivants pour leur pardonner d’être vivants : et autres poèmes (1946 1985). Double 139. Paris : Les éditions de Minuit, 2024, p.44.
[2] Jonas, Hans. Le concept de Dieu après Auschwitz. Paris : Rivages, 2022, p.16.
[3] Tagore, Rabindranath. L’offrande Lyrique ; La Corbeille de Fruits. Paris : Gallimard, 1993, p.209.
Lucie
Lucie est membre d’Oh My Goddess. Son quotidien est un patchwork de réalités différentes. Elle aime lire, boire du thé, manger des maamouls le jour de Pâques et – quand elle est suffisamment paisible – contempler les gens qu’elle aime.